REGARDEZ-MOI TOMBER


JAY REATARD
INTERVIEW
11MARS2009
RENNES, UBU



C'est drôle comme les aprioris sur les gens peuvent tomber en un quart de seconde, parfois. On avait lu que Jay Reatard était un dégénéré, un punk, un vrai, un pur, une tête brûlée. On nous avait dit que la fête était son amie vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. On s'attendait à rencontrer une sorte de juste milieu entre Sid Vicious et Anton Newcombe, mélange de provoc' sex, drugs & rock'n'roll et de suffisance parfois exagérée. Eh bien c'est face à un type bien sage qu'on se retrouve finalement en tête-à-tête, après le concert. On entre, une bouteille de champagne vient d'être montée de la part du patron de la salle pour féliciter les garçons du concert qu'ils viennent de donner. Jay nous salue, nous tend la bouteille en lançant un "buvez cette saloperie si ça vous branche, moi j'ai arrêté". C'est donc vrai, le Jay Reatard de 2009 a rayé le mot alcool de sa vie, et tous les synonymes pompeux du mot rockstar si on l'écoute. On a eu un peu peur de ne pas savoir quoi faire face à un tel retournement de situation de dernière minute. Finalement, on a passé plus d'une demie-heure avec un type doté d'une bonne dose de présence d'esprit, de modestie et d'humilité, ce qui n'est pas forcément courant dans ce milieu propice à la prétention facile et à l'égocentrisme. Jay Reatard est définitivement tout sauf un attardé.





STAGE INVASION : Ton vrai nom est Jay Lindsey, pourquoi avoir choisi Jay Reatard ?
JAY : Je ne sais pas vraiment si je l'ai choisi, ce sont mes amis qui m'appelaient comme ça, mais je ne l'ai pas aimé pendant très longtemps. C'est un peu comme quand tu surnommes quelqu'un pendant assez longtemps ; c'est marrant quand t'as 14 ans, tu es là genre "je m'en fous, les gens ne m'appelleront plus comme ça quand j'aurai 20 ans", tu penses vraiment ça quand t'es gosse, mais un jour tu te réveilles, t'approches de la trentaine et les gens continuent de t'appeler "reatard" (l'équivalent d' "attardé" en français, ndlr), donc...
// Tu t'y es habitué...
JAY : En fait, non, quand les types de la sécurité des aéroports demandent : «C'est quoi le nom de votre groupe ?», on dit toujours quelque chose de différent. (rires) Ça me met toujours mal à l'aise.


// Tu écris toujours une chanson par jour ?
JAY : Dieu merci, non ! J'ai essayé ça pendant un moment, je pensais que j'étais une sorte d'usine ou un truc du genre. Ouais, j'ai fait ça pendant un petit moment.
// Et à la fin du mois tu choisissais la meilleure, t'en faisais un single, et puis à la fin de l'année, tu les a réunis sur Matador Singles '08...
JAY : Ouais, en fait j'écrivais tout le temps, et j'écrivais, et j'écrivais encore… Une espèce de processus pour me débarrasser de toutes les mauvaises idées que j'avais.
// C’est vrai qu'avec tous les groupes que tu as eu, ou même tout seul, t'as enregistré près de 50 albums ?!
JAY : Hmm... (réflexion) Je pense plutôt à quelque chose comme 70 et quelques !
// Où est-ce que tu trouves toute cette inspiration ?
JAY : C'est plutôt un bon remède contre l'ennui. J'étais un de ces gosses qui ont du mal à se divertir, donc je devais créer moi-même pour m'amuser parce que je me faisais chier avec les trucs classiques. Je voulais péter mes jouets parce qu'ils ne m'amusaient plus, tu vois. Quand j'étais jeune, je ne faisais pas de sport ou d'activités comme les autres de mon âge, alors j'ai commencé à faire de la musique parce qu'il n'y avait rien à faire d'autre, la plupart du temps. J'en avais marre d'essayer de trouver quelque chose à faire et il y avait toujours une guitare dans le coin… J'essayais de me divertir en faisant des albums que je pourrais écouter ensuite.


// Tu viens de Memphis, comment décrirais-tu la ville en un mot?
JAY : Violent ! (rires)


// Tu prends toujours des bains de vinyles, comme sur la pochette de Matador Singles '08 ?
JAY : Si je prends toujours des bains de vinyles ?! Non, c'est juste avec des bulles la plupart du temps ! En fait, le projet tournait autour de l'abondance, et on était vraiment content après avoir vu le résultat.
// Y'a pas cinq minutes, tu nous as dit que tu avais fait environ 70 albums, c'était peut-être les tiens dans le bain ?
JAY : Beaucoup de ces albums ne sont pas encore sortis en fait, et les trois derniers singles ne l'étaient pas non plus donc la plupart de ces vinyles sont ceux d'autres artistes, qui traînaient dans le coin... Je me suis dit que, comme ils allaient finir à la flotte, j'allais pas mettre de bons albums mais plutôt des vinyles de merde, et... du disco (rires).


// Le concept de Blood Visions, c'est de buter une fille, c'est ça ?
JAY : C'est pas aussi simple. C'est un album qui parle du fait d'être complètement seul, isolé, ce n'était pas à propos de quelqu'un en particulier. Chaque chanson de l'album parle de cette personne, mais tout ça est censé représenter un état émotionnel différent, tu vois. Un peu comme quand tu aimes une personne, et puis que tu la détestes, ensuite du veux la tuer, puis tu te détestes pour avoir voulu la tuer, ce genre de trucs... En réalité, au lieu de tuer cette personne tu la quittes juste, ou c'est elle qui te quitte... Et après tu te retrouves avec... une chanson d'amour ! (rires) C'est un peu une chanson d'amour compliquée et violente, tu vois.


// Tu as joué aux TransMusicales en décembre dernier, comment as-tu atterri là-bas ?
JAY : Je ne sais pas vraiment, c'était assez drôle, il y avait beaucoup de groupes électro. Je me sentais un peu comme... un étranger. Il y avait beaucoup de groupes électro vraiment mauvais. Le festival était cool, les gens étaient sympas, mais le public semblait... confus. Dans ce genre de festivals, les gens veulent danser, mec ! Ils veulent juste bouger (imitation de beat électro, ndlr), prendre des putains de drogues et... J'aimerais pouvoir faire ça, ça à l'air vraiment simple. J'aimerais vraiment aimer la mauvaise musique, ce serait beaucoup plus facile. T'as pas besoin de trouver quelque chose qui te plait, parce que tout te convient ! Certaines personnes ont besoin de ça, tu vois. Moi pas vraiment, mais on a quand même passé un bon moment.
// Vous êtes restés pendant toute la durée du festival ?
JAY : Seulement deux jours, je crois. J'ai pas énormément de souvenirs du festival, à part avoir joué, et joué encore, et s'être moqué de quelques groupes, et puis être rentrés à la maison ! (rires) Pour dormir.


// (Petit speech sur le thème des sous-vêtements, en rapport avec toutes les photos de Jay sur lesquelles il est en slip kangourou, photos qu'on peut voir sur son myspace, ndlr) Quel genre de sous-vêtements préfères-tu : boxers ou slips ?
JAY : Aucun des deux ! Je mets juste des sous-vêtements pour les photos ! (rires)
// On a vu des photos de toi avec King Khan, tu portes un t-shirt léopard et une longue perruque blond platine...
JAY : Ouais... J'ai l'impression que c'était dans une autre vie ! J'avais l'habitude de faire la fête, peut-être un peu trop ! (rires)
// T'as vraiment complètement arrêté de boire ?
JAY : Oui, complètement. Pour éviter ce genre de photos justement ! (rires)
// Et, t'as déjà joué avec King Khan ?
JAY : Je le connais depuis qu'on a 17 ans. Depuis qu'on a tous les deux arrêté le lycée en fait... J'ai une anecdote à ce propos ; un jour, il voulait que j'achète du crack, j'ai dû aller trouver le dealer, parce qu'il avait trop peur d'y aller lui-même, et au lieu de ça il a tout ramené à ma mère, et il a fumé avec ma mère toute la nuit... C'était marrant !


// Si on te parle de musique française, tu nous sors quoi comme artiste ?
JAY : Euh, pas grand-chose...
(Jack, le batteur, entre dans la pièce pour se servir en champagne, ndlr)
JACK : Jaaacques Breeeel... Edith Piaaaaf...
// Les bons groupes de rock français semblent si vieux...
JAY : Ouais, c'est comme ça un peu partout dans le monde je pense. Tout vient par vague, tu vois.


// Le truc le plus stupide que tu aies fait dans ta vie ?
JAY : Il y en a beaucoup trop pour tout raconter ! J'avais l'habitude de me scarifier quand je jouais de la musique (rires). Maintenant j'ai des cicatrices à la con à force de m'être coupé avec des culs de bouteilles de bière. Ça paraît vraiment stupide, je pensais que j'étais trop délirant, je montais tout le temps partout, sur les caméras... j'étais taré quoi. En Allemagne, j'ai failli me ruiner le bras pour toujours, c'était probablement le truc le plus stupide, j'ai vraiment cru que je ne pourrais plus jamais jouer de la guitare... J'étais totalement hors de contrôle, jeune et stupide, buvant beaucoup trop de vodka ! (Rires) Mais il y aurait trop de chose à dire. Il y a une différence entre un truc stupide, et un autre que tu regrettes ensuite. Les conséquences dépendent toujours de ton point de vue. Maintenant je fais attention à ce que je fais et à la façon dont cela risque d'affecter mon entourage, c'est totalement l'opposé de cette attitude puérile et arrogante. Tu crois que tu peux faire tout ce que tu veux, pensant que t'es un putain de dieu du rock, ou quelque chose du genre... Je sais pas, je crois que je deviens vieux et chiant !
// C'est le début de la sagesse.
JAY : Je ne pense pas en être arrivé là encore ! (Rires) Peut-être que ce sentiment d'ennui et de lassitude vient d'abord, et la sagesse ensuite, juste avant ton dernier souffle.


// Ton plus gros vice ?
JAY : Je n'en ai pas, mec, je suis plutôt du genre stressé ! (Rires) Peut-être un truc en rapport la bouffe, comme...
// Les bonbons ? (Il n'arrête pas de piocher dans l'assiette bien garnie de bonbons posée sur la table depuis le début de l'interview, et parle la bouche pleine, de surcroît, ndlr)
JAY : Pas les bonbons, plutôt... la viande ! (Rires) Comme un bon gros repas trop gras que je n'aurais pas dû manger. Ou... La télévision. Je deviens le stéréotype typique de l'américain moyen ! (Rires) Quoi que cela puisse être ! Sinon j'aimais vraiment enregistrer des disques et boire de la bière, c'était ça mon gros vice, je pouvais passer des heures à faire ça.
// Enfin, l'américain typique n'écrit pas de chansons...
JAY : Je crois que quel que soit l'américain typique, ça a bien changé.
// En France, l'américain typique est vu comme un mec qui reste très encré dans la religion et continue de voter républicain.
JAY : Je pense que les gens doivent pardonner aux Américains d'être si religieux, même si c'est quelque chose qui dure depuis ces deux siècles, depuis l'existence des États-Unis. On n'a pas eu de Moyen Âge, ou de trucs du genre ; je crois que quand l'Europe était plus jeune, d'après ce que j'ai compris, il y a eu d'innombrable morts, au nom de la religion, donc... Peut-être que dans une centaine d'années, l'Amérique passera à autre chose.
// Ça doit être vraiment intéressant de voyager un peu partout, prendre conscience de certaines choses...
JAY : En effet, c'est thérapeutique parce que tu pars en étant idéaliste. Quand tu as 20 ans, tu crois tout savoir, et puis tu te retrouves dans un pays différent, tu voyages beaucoup, et au bout d'un moment tu réalises que finalement tout se ressemble, partout. Les mêmes rituels, les mêmes choses. Il y a juste quelques différences, par exemple, le vin d'une personne devient la bière d'une autre... C'est partout la même chose, mais en différent. Quand j'en viens à cette conclusion, je me sens vraiment déprimé, j'ai l'impression que le monde est trop petit, je voudrais aller ailleurs, quelque part où je puisse me sentir insignifiant à nouveau. J'ai vu tellement d'endroits qui se confondent les uns les autres. Les gens sont juste eux-mêmes. Chaque artiste pense qu'il est différent. En résumé c'est un peu ça : tu es supposé être original pour être artiste, mais c'est tellement arrogant de penser qu'il y a une putain de différence entre toi et les autres...
// Tu penses que tout a déjà été fait ?
JAY : Bien sûr ! J'en suis venu à la conclusion que tout le monde est la même putain de personne. Partout. ...C'est rassurant (rires).


// Est-ce que les stage invasions te dérangent ?
JAY : Si elles me dérangent ? Oh, non, c'est plutôt sympa ! Mais, assurez-vous que vous comprenez ce qu'il se passe sur la scène avant de monter. En fait, tu ne fais ça nulle part ailleurs, tu ne vas pas dans un restaurant pour te mettre à courir vers le cuisinier : « PUTAIIIN OUAAAIS ! FILE-MOI TOUTE CETTE PUTAIN DE BOUFFE ! » Tu ne vas pas non plus derrière le guichet d'un hôtel chopper toutes les clefs ! Ce n'est pas parce que parfois notre musique laisse supposer qu'il faut être hors de contrôle que c'est une raison pour sauter partout comme un dingue... C'est tellement répétitif !


// Est-ce que tu connais le nom du président français ?
JAY : Euh... Je me soucie pas vraiment genre de trucs.
// Apparemment tu es le premier qui ne le connaît pas du tout, bien joué ! Bon, histoire de, son nom c'est Nicolas Sarkozy.
JAY : Je crois que je l'ai vu sur la BBC ou je ne sais plus quelle chaîne l'autre nuit...
// Sa femme est un célèbre ex-mannequin... En général c'est plus de ça dont se souviennent les gens que d'autre chose.
JAY : Ah ouais ?! Elle a pas une seule jambe ou un truc bizarre de ce genre ?! (Rires) Je suis sûr qu'elle est jeune, genre une vingtaine d'années, et que lui c’est vieux croûton ! (rires)


// Dernière question, tu peux nous trouver un titre pour l'interview ?
JAY : Je sais pas du tout, mec... Je suis vraiment mauvais pour donner des titres aux choses, sauf pour les titres de mes albums... Je peux vous donner celui du prochain ; faites-en ce que vous voulez : "Watch Me Fall".



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JAY REATARD.
album Matador Singles '08 (Matador)

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Cool. Plus cool que son concert...
Larsen au mon Larsen.

Anonyme a dit…

Super cool le Jay.
J'ai beaucoup aimé l'interview, ça a du être sympa à faire.